Heureux d'un printemps

C'était le début, le premier moment, le départ, enfin bref c'était le commencement. Le commencement d'une journée, le commencement d'une saison, le commencement d'une vie.

En fait c'était peut-être aussi le commencement du monde car autant que Pox aurait pu le savoir, il ne devait rien avoir dans la mémoire de ce petit être qui pourrait être attribué au passé. Le passé est (ou était?) une chose étrange, intangible et dont il est impossible d'affirmer son existence autrement que par les écrits ou la mémoire. Et si le monde avait commencé juste là, avec des mémoires toutes faites et des livres déjà écrits? Il est tout à fait logique de croire que les choses étaient là depuis fort longtemps et que toutes ces tergiversations étaient inutiles, mais que tout l'univers venait de débuter n'était pas impossible non plus.

En tout cas pour ce petit papillon tout juste sorti de son cocon, c'était sûrement l'impression que le monde venait de commencer qui était la bonne. Et comme tous les êtres vivants, il avait les yeux grands ouverts et le coeur battant à vive allure, placé à mi-chemin entre l'extase de parcourir le monde et ses merveilles et la prudence face aux différentes créatures qui le peuplent. Du point de vue de ce papillon, Pox était un grand géant au sourire bienveillant certes, mais potentiellement dangereux.

Le papillon s'envola enfin et Pox aurait aimé le suivre, mais un gargouilli provenant de son ventre faisant écho à un croassement tout près le ramenèrent à la réalité.

"Viox, moi aussi j'ai faim, balbutia Pox en sortant de sa rêverie. Allons trouver quelque chose à manger."

"Croa... Croa!" fut tout ce que la corneille trouva à dire.

"Tu sais, répondit simplement Pox en regardant son compagnon à plumes. Tu devrais réellement te remettre à chercher ta propre nourriture. Tu sais, comme le font les autres animaux?"

Mais son interlocuteur avait l'habitude d'ignorer ce genre de commentaire.

Le ventre gargouillant dû à la faim qui le tenaillait depuis quelques temps déjà, Pox se dirigeait avec quand même une certaine gaieté en direction des territoires Kardars. Il espérait pouvoir y trouver une dague, outil de base primordial pour toutes les formes de travail.

Récemment Pox avait eut la chance d'étuder quelques grimoires magiques. Rien de bien impressionnant et il était encore loin d'être capable de lancer le moindre sort mais assez pour savoir reconnaître qu'il avait une forme de pouvoir, qu'il avait l'étincelle nécessaire pour le développement d'une carrière en la matière. Plusieurs fois il s'était laissé aller à des tentatives d'invocation de nourriture ou de canne à pêche mais hélas, sans succès. Il se dit alors que "peut-être aujourd'hui ça fonctionnerait?" et en plein milieu du chemin, il tenta à nouveau d'invoquer quelque chose à manger.

C'est alors que le sol se mit à trembler. Il avait encore les yeux fermés et les bras tendus vers le ciel mais il pouvait sentir le mouvement ainsi que les petites pierres du chemin rebondir sur ses pieds nus. Souriant et confiant il poursuivit sa méditation, ayant réellement l'impression d'avoir atteint un niveau de concentration requis pour faire appel aux forces de la nature. C'est alors qu'une douleur intense brisa quelque peu sa transe.

Il ouvrit les yeux, il ne touchait plus vraiment à terre mais évoluait plutôt à quelques mains du sol vers une direction inconnue. "Je vole!" cria-t-il. Puis il serra les dents anticipant un aterrissage visiblement difficile.

Une fois au sol il tenta de se lever, mais une profonde douleur le paralysait presque au sol. Il put néanmoins lever la tête pour apercevoir le visage bouffi, bourré de verrues et de poils disgrâcieux qui s'approchait rapidement de lui. Une bonne rangée de dents ayant poussées dans tous les sens retenaient à peine une flot de liquide qui pourrait insulter la plupart des glandes salivaires d'appeler ça de la bave. Pox se mit à hurler.

" Aaaaaaah!

- AAAAAAAAAAAAAAARGH! riposta l'ogre.

"Quoi j'ai invoqué un démon?" balbutia Pox d'un air incrédule.

Tout devint noir ensuite. Pox se réveilla probablement beaucoup plus tard à Kar. Il n'avait aucune idée du comment il était arrivé là ni depuis combien de temps il y était. Il se trouvait dans un coin de montagne, à l'ombre d'un imposant bâtiment. Il fouilla dans son sac et trouva une bouteille de cidre qu'il avait empoché lors du couronnement d'Astérie.

"Longue vie à la Reine!" s'exclama-t-il en prenant une gorgée du liquide salvateur. Le cidre lui fit d'abord connaître une nouvelle fois la douleur, puis l'apaisa ensuite. Ce fut suffisant pour qu'il tombe à nouveau dans un sommeil comateux.

Voilà c'était dit. Mais au lieu de se sentir mieux et libéré, Pox ressentait plutôt de l'incompréhension. Cela lui semblait étrange que ça ne change rien à ses sentiments. Il se sentait exactement comme avant, et voyait la personne devant lui exactement de la même manière. Ça ne changeait absolument rien, c'était exactement le même bonheur d'être en sa présence qu'avant. "Bah? Et bien... Hmm... On fait quoi maintenant?" demanda Pox à son interlocutrice qui se contenta d'hausser les épaules, elle en était visiblement dans le même genre de réflexion.

Il devait le dire, avant le monde ne s'éteigne. Enfin rien n'était perdu mais Teilia allait mal et Pox se disait que ce serait ridicule de tomber dans le néant profond sans en avoir parler. C'est Élune qui l'avait convaincu, elle est très sagace cette petite.

Ils se regardèrent un moment, puis s'enlacèrent dans une étreinte qui sembla d'abord maladroite puis leurs sentiments convergèrent vers quelque chose plus harmonieux. Pox perdit la notion du temps et de l'espace, en fait il perdit la notion de tout sauf du trésor qu'il avait dans les bras... et le doux frisson d'une brise hivernale.